Gastronomie textuelle

Le blog d'un Indo-Européen, un blog communautariste où nulle pitié, nulle vertu de "tolérance", nulle bienséance hypocrite envers mes ennemis ne seront exercées.

Un simple blog à tout faire, qui pourra évoluer, et qui compte présenter tout et rien : photos, articles de fond, analyse de l'actualité, témoignages du passé, visions du futur, cauchemars de l'ici écrasants, rêves de l'ailleurs évoqués.

Un blog, parmi tant d'autres, qui n'a pour seule prétention que de créer un espace sécurisé, sanctuarisé, une fenêtre sur ce qui n'est plus, ce qui devient et ce qui aurait dû advenir. Pourquoi l'orage souverain ?

De toutes les divinités indo-européennes, c’est le dieu de l’orage et de la guerre, que nous appellerons *Maworts, qui est le plus capable d’apparaître sous la forme d’un animal, généralement correspondant à sa nature complexe. C’est sous cette forme qu’il conduit vers un nouvel emplacement une jeune génération chassée par sa tribu selon le rite du printemps sacré, dans la tradition italique. Il fut un loup pour Romulus et Rémus, fondateurs de Rome, mais aussi a pu apparaître pour d’autres peuples sous la forme d’un taureau, d’un pivert, d’un cheval ou encore d’un ours.

Les animaux liés au dieu de l’orage et de la guerre et sous la forme desquels il peut apparaître, relèvent de plusieurs fonctions, qui peuvent se recouper. La première fonction est l’association à l’orage et à la foudre, et on retrouve le cheval (selon la croyance selon laquelle le son du tonnerre est dû aux chevaux du char du dieu), le pivert, animal qui comme la foudre pouvait selon la tradition abattre des chênes, le taureau, animal porteur de la foudre chez les Indo-Européens (et les autres Européens d’ailleurs), l’aigle de guerre ou le faucon, lui aussi porteur de la foudre entre ses serres, et enfin l’ours, animal capable de grimper aux arbres, donc lien entre le ciel et la terre, et pour cela associé au ciel intermédiaire, le ciel orageux (et auroral/crépusculaire).

La seconde fonction est l’association à la virilité, le dieu *Maworts étant le mâle parfait, la représentation idéalisée du mâle indo-européen. C’est pourquoi tous les animaux symbolisant la virilité et/ou la fécondité masculine sont associés au dieu. Il s’agit dans le désordre du bouc, du cheval là encore, du bélier, du taureau et de l’ours, et les Indo-Iraniens y rajouteront l’éléphant et le chameau, animaux inconnus des Indo-Européens. Le lion est absent de cette liste, car animal associé à la royauté céleste et au soleil, au dieu *Dyeus donc, et connu des Indo-Européens (i.e *singhos) car présent à l’époque préhistorique en Europe (« leo europaeus », éteint).

La troisième fonction est l’association à la guerre au sens strict, et sont ainsi retenus les animaux de nature belliqueuse. On retrouve les animaux déjà évoqués, à l’instar du bélier et du taureau (l’association de ce dernier à la couleur rouge, couleur symbolique du dieu guerrier, et qui le rendrait furieux remonte donc à une vieille histoire), mais plus généralement le cheval, animal utile au combattant, le loup, honoré pour sa valeur guerrière reconnue, et animal par excellence du dieu, mais aussi le corbeau, combattant mais aussi charognard, nettoyant le champ de bataille comme le vautour, autre animal de *Maworts. A cette liste, on retrouve d’autres animaux à la nature belliqueuse, comme le coq, le milan, le chat mâle (« matou ») et le chien.

T. Ferrier, PSUNE

A bientôt ici-même.

Le dieu indo-européen de l’orage apparaît donc comme l’ennemi privilégié du serpent du chaos sous ses deux formes principales, celle d’un dragon d’une part, celle d’un monstre tricéphale d’autre part. Ainsi, si Python et Jormundgand sont clairement des dragons, Vritra ou Typhon, bien que de nature ophidienne, ont trois têtes. Le combat entre Héraclès et Cerbère, chien tricéphale, s’apparente également à ce genre de combat.

Quant au nom originel de ce serpent destructeur, on peut penser qu’il contenait le terme de *ogwhis, “ serpent ”, ce qui est le cas du serpent de Midgard, Midgards Ormr, du serpent iranien Azi Dahaka, ou encore de l’ennemi de Perun, Zmei.

mercredi 5 janvier 2011

L'homosexualité chez les Anciens - Esprit guerrier, esprit pasteur


L'homosexualité, sujet épineux entre tous, enjeu d'Histoire et enjeu idéologique éternel, autour duquel se cristallisent bien des passions. Pourtant, sa naissance en tant que concept est tout à fait récente, et son calque sémantique ne saurait s'appliquer aux périodes précédentes, particulièrement celles correspondant à ce que l'on dénomme "L'Antiquité".


On la rencontre sous diverses formes dans toutes les races humaines et chez certains peuples elle a pris l'envergure d'une véritable habitude nationale. La Grèce et Rome l'ont érigée presque en institution. Orphée (qui dut à ce motif d'être déchiré par les Ménades) et Thamyris en ont été accusés. Virgile et les poètes l'ont chantée (Églogues II). Les philosophes en parlent davantage que de l'amour sexuel. Platon semble presque n'en pas connaître d'autre. Il loue Socrate, comme d'un héroïsme surhumain, d'avoir repoussé les propositions d'Alcibiade. Dans les Mémorables de Xénophon, Socrate parle de la pédérastie comme d'un acte irrépréhensible et même louable. Les Stoïciens jugent l'homosexualité digne du sage. Aristote dans un passage que citera également Edward Westermarck (Politisa, II, 9, p. 1269 B) parle d'elle comme d'un usage ordinaire sans la blâmer. Schopenhauer constate l'existence de pratiques homosexuelles chez les Celtes, pratiques favorisées par les lois, à titre de moyen préventif contre un excès de population. Il mentionne la passion du législateur Philolaos pour les hommes. Cicéron dit que, chez les Grecs, c'était un déshonneur pour les jeunes gens de ne pas avoir d'amants.


C’est le degré de féminité ou de masculinité dans chaque être par rapport à d’autres êtres qui a toujours déterminé son rôle et sa fonction, particulièrement dans les sociétés indo-européennes. Pour réaliser ses potentialités chacun devra déterminer sa position par rapport à ceux qu’il approche et ainsi réaliser sa nature, son Dedma, sa conformité à ce qu’il est. Le travail de l’homme consiste d’abord à se connaître et à se conformer à sa nature afin de se libérer d’elle.
Les hommes qui, par leur nature, sont marqués par l’ambigüité sexuelle, ont un rôle autre que la transmission du code génétique et des fonctions particulières dans la société. Les intersexuels, en qui s’unissent certains aspects masculins et féminins, possèdent, dans ces sociétés, un caractère sacré car ils évoquent l’androgyne primordial, l’unité des principes.



On assiste aujourd'hui à une véritable destruction de la bonne et totale compréhension de ce qu'a pu être une "homosexualité" antique, au profit des évolutions sexuelles actuelles, afin de chercher un ancrage historique à un phénomène absolument nouveau et peu relié à ce qu'il a pu être aux origines. Ainsi, César, les Celtes, les Grecs, les Scandinaves, sont successivement récupérés au cours de démonstrations adverses et contradictoires, tantôt pour prouver le caractère intrinsèque, consubstantiel à l'humain et bénéficiant d'une fluidité temporelle de l'homosexualité, tantôt pour en nier fermement l'existence même. Ces deux positions sont difficilement tenables, et ne résistent pas à l'analyse. Nous nous limiterons ici à l'exposé de quelques considérations sur l'homosexualité masculine, son pendant féminin n'entrant pas de la même manière dans la problématique et dans nos préoccupations les plus immédiates.


Quelques remarques pour commencer sur l'homosexualité à Rome et sur les pratiques de César, cas le plus mentionné : le sujet est évidemment marqué par des polémiques contemporaines susmentionnées, ainsi que par une grande méconnaissance générale. Pour mieux comprendre la sexualité dans le monde antique gréco-romain, je crois bon de renvoyer à P. Veyne, proclamé selon ses dires "homosexuel d'honneur" par Foucault. Lire en particulier dans Sexe et Pouvoir à Rome (collection Points) le bref mais très riche article sur l'homosexualité à Rome (pp. 187 et suivants) P. Veyne reprend ce que d'autres savants avaient déjà remarqué avant lui, mais qui est essentiel : les catégories mentales et morales des Anciens ne sont pas les nôtres, sur ce thème de la sexualité en particulier comme sur une foultitude d'autres. Dès lors, il importe de ne pas rechercher dans cette antiquité un patronage vain à nos propres choix intellectuels ou sexuels : de même, l'opinion courante va chercher à Athènes ou à Rome un modèle politique qui n'a presque rien à voir avec ce que nous appelons "République" ou "Démocratie". Dans le même ordre d'idées, force nous est de constater que les usages verbaux, langagiers et éthiques de l'antiquité sont très loin des nôtres. D'abord, deux points essentiels : les Anciens n'ont absolument pas de mot pour "sexualité", donc a fortiori pour "homosexualité" ou pour "hétérosexualité". En revanche, quand ils parlent de relations que nous appelons homosexuelles, ils désignent toujours par deux mots différents l'homme jugé "actif" et l'homme jugé "passif". C'est une différence fondamentale qu'il y a là, bien plus pour l'esprit que pour la lettre; P. Veyne écrit : "Un mépris colossal accablait l'adulte mâle et libre qui était homophile passif." Ce personnage-type (au même titre qu'un personnage clé au théâtre) est toujours l'objet d'un jugement extrêmement négatif, fréquent dans la littérature judiciaire (le droit antique ignorant tout autant l'idée d'un "ministère public" que la diffamation, les accusations diverses et variées concernant les mœurs de l'adversaire vont bon train sous la plume d'un Démosthène ou d'un Cicéron). Le fait est que, dans l'opinion de ses contemporains, que César ait été dans sa jeunesse le mignon d'un roi barbare constituait une redoutable casserole politique. Inversement, et vice versa, si César avait été l'amant "actif" d'un roi barbare "passif", c'eût été incontestablement un titre de gloire, parce qu'il eût démontré la "supériorité" du nomen romanum sur les peuples barbares.


Les éternels contributeurs au débat sur la vie intime (ou si peu) de César indiquent qu'"à Rome, César passait pour le mari de toutes les femmes et la femme de tous les maris". Il faudrait corriger et préciser : la citation est dans Suétone, mais elle n'est pas présentée comme l'opinion générale des Romains, mais comme la chansonnette des légionnaires lors du quadruple triomphe de César. Pour comprendre cette citation, il faut savoir en quoi consiste un triomphe, la nature des relations de César avec ses troupes, et enfin le contexte politique. Rappelons donc que le triomphe est la récompense officielle donnant à un général le titre d'imperator, et que les festivités auxquelles il donne lieu sont du genre des Saturnales, à savoir un peu ce que nous appelons "la fête des Fous" au Moyen-Âge : une extrême liberté (momentanée) de parole y est d'usage chez les soldats qui usent et abusent de quolibets à l'égard de leur chef. Mais bien sûr, la fête des fous ou le triomphe n'ont qu'un temps, et tout l'art de bien user de ce temps est, pour ceux à qui il est accordé, dans la manière de s'en servir. Le quolibet rapporté par Suétone a évidemment deux volets : d'un côté, il loue le chef pour ses conquêtes féminines (point extrêmement connu et ne faisant aucune discussion) et d'un autre, il rappelle un point qui faisait scandale : l'accusation d'homosexualité passive. Maintenant, si les soldats peuvent se permettre de rappeler ce point à leur chef, c'est bien par dérision: ils lui lancent une petite pique (c'est la petite vengeance permise par le triumphus à des hommes qui par ailleurs aimaient bien celui qui, à la différence d'Auguste, commençait tous ses discours à la troupe par : "Commilites", soit à peu près "Camarades-combattants"). Mais surtout, le rappel du vieux scandale est en fait aussi une gifle politique aux adversaires de l'imperator, quelque chose comme : "vous pouvez bien raconter tout ce que vous voulez sur César, et vous ne vous êtes pas gênés pour cracher votre venin, mais nous sommes tellement forts que nous pouvons vous imposer même un débauché." Ainsi, la chansonnette du triomphe répond parfaitement à divers besoins : on flatte le chef pour ses conquêtes, mais aussi on l'asticote, et on en profite pour provoquer et clôre le bec des patriciens, souvent mal vus par la troupe.


Jules César n'était au mieux qu'homophile, et dans un sens des conceptions qui interdit en fait tout rapprochement avec l'homosexualité définie comme identité de manière récente (et qui n'a été mise en exergue comme telle qu'à partir du moment où l'Église chrétienne s'en est emparée afin de la mieux condamner, réprimer et diaboliser).



Abordons les Celtes, maintenant. Aristote (IVe s. av. J.-C.), Diodore de Sicile (Ier s. av. J.-C.), Strabon (Ier s. av. / Ier s. ap. J.-C.), Claude Ptolémée (IIe s. ap. J.-C.), Athénée (IIIe s. ap. J.-C.), Eusèbe de Césarée (IVe s. ap. J.-C.), puis le pseudo-Bardesane, évoquent l'homosexualité comme une pratique commune et admise chez les Celtes (ici employé pour Gaulois). A la vue de ces témoignages, deux aspects distincts ressortent ; un amour viril entre hommes pubères et des relations avec des jeunes-hommes non-pubères, se rapprochant nettement de la prostitution.

Chez Diodore de Sicile, Strabon, Athénée, Eusèbe de Césarée et le pseudo-Bardesane, l'homosexualité est plutôt perçue comme une perversion poussant de jeunes hommes à offrir leurs faveurs, voire même, à se prostituer auprès d’hommes mûrs. La description de Diodore apparaît plus intéressante que les suivantes, Strabon et Athénée reprenant semble-t'il les écrits du premier, sans y apporter quoique ce soit de plus. Eusèbe de Césarée et le pseudo-Bardesane plus tardifs encore, ont pour intérêt de mettre en opposition une homosexualité gauloise, à une polygamie britannique.


Diodore de Sicile, Histoire Universelle, V, 21 : "Quoique leurs femmes soient parfaitement belles, ils ne vivent avec elles que rarement, mais ils sont extrêmement adonnés à l'amour criminel de l'autre sexe et couchés à terre sur des peaux de bêtes sauvages, souvent ils ne sont point honteux d'avoir deux jeunes garçons à leurs côtés. Mais ce qu'il y a de plus étrange, c'est que sans se soucier en aucune façon des lois de la pudeur, ils se prostituent avec une facilité incroyable. Bien loin de trouver rien de vicieux dans cet infâme commerce, ils se croient déshonorés si l'on refuse les faveurs qu'ils présentent". 


Strabon, Géographie, III, 4, 6 : "Enfin, s'il faut en croire un bruit très répandu, tous les Gaulois seraient d'humeur querelleuse ; on assure de même qu'ils n'attachent aucune idée de honte à ce que les garçons prostituent la fleur de leur jeunesse". 


Athénée de Naucratis, Deipnosophistes, XIII, 79 : "On sait que, parmi les barbares, les Celtes, qui possèdent pourtant des femmes magnifiques, ont une préférence pour les garçons, de sorte qu'on voit beaucoup d'entre eux coucher avec deux mignons à la fois sur leurs lits en peaux de bêtes". 


Eusèbe de Césarée, La préparation évangélique, VI, 10 : "En Gaule, les jeunes gens servent de femmes en toute licence, sans voir-là un sujet de blâme, vu la loi ; or il est impossible que tous les Gaulois qui subissent ces outrages impies aient eu en partage, à leur naissance, l'Etoile du matin [Vénus] quand elle se couche avec Hermès dans les maisons de Cronos et les limites d'Arès. En Bretagne, plusieurs prennent une seule femme [...].". 


Pseudo-Bardesane, Le livre de la loi des contrées : "Cependant, dans le nord, dans le pays des Germains et dans ceux qui se trouvent dans le voisinage, les jeunes garçons, beaux de figure, remplissent auprès des hommes le rôle de femmes. Ils célèbrent aussi des cérémonies de mariage, et cela n'est pas considéré chez eux comme un déshonneur, parce que leur loi le permet ainsi. Cependant il n'est pas possible que tous ceux qui habitent la Gaule, et qui sont ainsi flétris par ce vice honteux, soient nés pendant que Mercure était en conjonction avec Vénus dans le signe de Saturne, dans les limites de Mars, et dans les signes du Zodiaque à l'Occident. Car les hommes qui sont nés sous cette influence sont déshonorés, est-il écrit, et traités comme s'ils étaient des femmes. Chez les Bretons, beaucoup d'hommes n'ont qu'une seule femme. [...] Et nos frères [chrétiens] qui sont en Gaule ne prennent pas des mâles pour des femmes." 

Aristote revendiquait ouvertement son hétérosexualité, à une époque où l’homosexualité était culturellement encouragée. Comment l'homosexualité était-elle perçue chez les Celtes de l’antiquité entre hommes adultes? Aucun texte ne l'évoque, néanmoins Aristote, dans son ouvrage la Politique, voit dans l'homosexualité de certains Celtes adultes, une forme d'amour viril entre guerriers. Cette pratique était selon ses dires "honorée" et leur permettait d'échapper à la domination des femmes, le "fléau des Etats".

Aristote, Politique, II, 6, 6 : "La conséquence nécessaire, c'est que, sous un pareil régime, l'argent doit être en grand honneur, surtout quand les hommes sont portés à se laisser dominer par les femmes, disposition habituelle des races énergiques et guerrières. J'en excepte cependant les Celtes et quelques autres nations qui, dit-on, honorent ouvertement l'amour viril. C'est une idée bien vraie que celle du mythologiste qui, le premier, imagina l'union de Mars et de Vénus ; car tous les guerriers sont naturellement enclins à l'amour de l'un ou de l'autre sexe". 

Pour les Germains, il y a un texte d'Ammien Marcellin, historien latin du IVe siècle, qui disait des Taïfales, peuple de l'entourage des Goths, originaires du sud de la Suède :
"Nous avons appris que les Taïfales sont un peuple honteux, tellement scandaleux par leur vie obscène faite de libertinage que chez eux les adolescents sont liés à des hommes adultes dans une union d'un genre indicible, cela, pour consumer la fleur de leur jeunesse dans les pratiques répugnantes qu'ils ont chez eux. Ajoutons que lorsque l'un d'entre eux, devenu adulte, est capable de capturer seul un sanglier, ou de terrasser un ours, il est libéré de cette union de débauche".
On retrouve ici les mêmes caractéristiques typiques de l'homosexualité générale Indo-européenne, à savoir le caractère viril, guerrier, symbolique et initateur de l'acte, du processus et de la pratique, ainsi que leur effacement devant l'entrée dans la société adulte après le rite de passage.

Il est peut-être plus remarquable que l'homosexualité soit restée présente dans la tradition celte bien après l'avènement du christianisme, comme en témoignent certains textes littéraires datant du Moyen Age. Dans les légendes irlandaises, par exemple, le héros Cûchulainn entretient une relation amoureuse avec le jeune Ferdéad et, après la mort de celui-ci, exprime son désespoir dans de poignants poèmes. Et dans l'histoire de Lancelot, l'amour qu'éprouve pour le héros le géant Galehot est un des ressorts décisifs de l'action. C'est en raison de l'amour qu'il porte à Lancelot que Galehot renonce à la victoire qu'il pouvait remporter sur le roi Arthur. Galehot meurt d'amour, littéralement, quand il croit Lancelot mort, et celui-ci, malgré son amour pour la reine Guenièvre, le rejoindra finalement puisqu'il sera enterré dans la même sépulture.




Cette homosexualité, qui est plutôt une bisexualité, puisque sa relation avec Ferdéad n'empêche pas Cûchulainn, par exemple, d'avoir de nombreuses liaisons féminines, doit être replacée dans le contexte d'une société qui se caractérise, on l'a vu, par une grande liberté sexuelle. Il est à noter que cette liberté vaut aussi pour la femme. Celle-ci peut exprimer librement son désir. Elle a souvent l'initiative dans la relation sexuelle, voire même elle l'impose à son partenaire. Elle ne peut être mariée sans son consentement; elle peut divorcer. Par ailleurs, elle peut posséder des biens; elle participe aux combats; et l'on note que souvent les héros sont dits "fils d'une telle", au lieu d'être désignés par le nom de leur père. Bref, la femme celte conserve une indépendance qui fait peut-être la véritable originalité de la civilisation celtique par rapport à ses contemporaines grecque, romaine et autres. Jean Markale (Amour et sexualité chez les Celtes, 1991) se demande si les Celtes, appartenant à la civilisation indo-européenne qui était de type patriarcal, n'ont pas eu à composer, quand ils sont arrivés en Europe vers 1800 avant Jésus-Christ, avec les précédents occupants du sol, qui auraient pratiqué une forme de matriarcat. Hypothèse intéressante, mais qui sera difficilement démontrée dans l'état actuel de nos connaissances.

Il est également précisé que les femmes qui avaient des enfants étaient très respectées et gagnaient un statut social élevé. En temps de guerre, elles étaient extrêmement courageuses et combattaient aux côtés de leurs hommes. Selon la loi druidique ancienne, un homme était autorisé à avoir deux épouses.


Quand aux ridicules poncifs sur les Grecs, une rigoureuse application des " insights " psychanalytiques et ethnologiques prouvera que le Grec moyen - même le dandy athénien laconisant, même le Spartiate - n'était pas, psychiatriquement parlant, un perverti, en dépit de son comportement homosexuel. A certains égards il était peut-être même plus hétérosexuellement orienté que l'homme moderne. Un adolescent contemporain, courtisé par des hommes adultes, encouragé à en tirer gloire et soumis de plus à des pratiques homosexuelles deviendrait, dans la plupart des cas, un perverti authentique et permanent et dans le reste des cas, un névrosé. L'adolescent grec devenait pourtant un adulte non névrosé - totalement (ou en grande partie) hétérosexuel. En fait les Grecs considéraient le rite d'éromenos comme un stade du développement de l'enfant vers la masculinité (de même que chez les Celtes, et dans de nombreuses autres sociétés Indo-Européennes). Ce n'était assurément pas la meilleure voie, mais elle était rendue nécessaire par un paternage inadéquat.

Divers indices permettent néanmoins de supposer que le modèle pédérastique de la Grèce antique a évolué à partir de rites initiatiques des sociétés de chasseurs-cueilleurs du paléolithique supérieur.
La pédérastie supposait un lien de couple entre un homme et un garçon déjà entré dans la préadolescence (donc à partir d'au moins douze ans). Ce couple tenait sa légitimité de nombreux équivalents symboliques ou mythologiques en la personne des dieux ou des héros (Zeus et Ganymède, Apollon et Hyacinthe, Apollon et Cyparisse, Héraclès et Iolaos, Thésée et Pirithoos, Achille et Patrocle). À Sparte, il était directement institué par la loi (Grande Rhêtra de Lycurgue). L'environnement socioculturel faisait de la pédérastie un mode reconnu de formation des élites sur le mode ésotérique (un maître-un élève). Les termes désignant l'homme et le garçon pouvaient varier d'une cité à l'autre : par exemple, erastes (amant) et eromenos (aimé) à Athènes, eispnelas (inspirateur) et aites (auditeur) à Sparte. Les modalités de la relation différaient également ; selon les cités, les rapports sexuels étaient permis ou non. Les fêtes publiques initiatiques axées sur l'homosexualité pédagogique étaient nombreuses à travers la Grèce : les Hyacinthies de Sparte, les Théséia et les Euandria d'Athènes...

La Crète offre le modèle le plus ancien d'institution pédérastique, dont on connaît essentiellement les caractéristiques grâce à un texte d'un historien grec du IVe siècle, Ephore, repris par Strabon. Après en avoir fait l'annonce et obtenu l'approbation du père, l'homme procédait à l'enlèvement rituel du garçon, le rapt pédérastique. Commençait alors pour ce dernier une période d'apprentissage placée sous la responsabilité de l'adulte, qui l'isolait avec lui à la campagne pour une durée de deux mois environ. Il s'agissait de faire du garçon un chasseur adroit et un combattant courageux. Pendant toute cette période, le couple partageait également des activités sexuelles. On considérait comme normal pour le jeune garçon de s'offrir à son amant, en marque de reconnaissance pour les efforts que l'homme consacrait à sa formation. À l'issue de cette période, le garçon était reconduit dans la cité, où l'on fêtait son retour et sa renaissance sociale, publiquement et à grands frais. Parmi les nombreux présents, trois cadeaux rituels étaient obligatoires : un bœuf, qui manifestait sa capacité à sacrifier aux dieux, une armure, qui marquait son entrée dans le groupe des citoyens-soldats et une coupe lui permettant de participer au banquet ou symposion, festin civique masculin. On reconnaissait alors l'éphèbe à la fois comme homme et comme citoyen. En même temps, le garçon pouvait dénoncer son partenaire s'il l'avait forcé à des relations contre sa volonté, et ainsi couper la relation. Cette initiation rituelle ne concernait pas l'ensemble des citoyens. Ceux qui l'avaient connue se voyaient accorder des marques d'honneur particulières.





Je conseille de lire John J. Winckler, Désir et contraintes en Grèce ancienne (préface de D. Halperin, traduction de S. Boehringer et N. Picard, Paris, EPEL, 2005. 445 p.). Dans la première partie, J. Winckler rappelle que la sexualité grecque est basée sur la domination, la pénétration phallique et la relation plutôt que sur l’objet et examine la masculinité grecque. Sa lecture de l’Oneirocriticon d’Artémidore vise à examiner les significations sociales que les individus accordent à leurs rêves . Nous ne sommes pas dans l’interprétation freudienne des rêves comme le démontre l’auteur à travers une bonne mise au point, mais dans un discours où le sexe permet aux « hommes de mettre en place leur identité sociale dans une culture publique qui connaît une intense compétition fondée sur la règle du jeu à somme nulle » (37). L’Oneirocriticon confirme parfaitement l’asymétrie des relations sexuelles grecques. En distinguant les actes contre nature – ceux qui défient la convention sociale comme les rapports entre femmes qui se passent de pénétration phallique – des actes «naturels» lesquels sont divisés en rapports sexuels conventionnels (kata nomon) et non-conventionnels (para nomon), Artémidore fait apparaître une nature sexuelle très culturelle et loin de la division sexuelle moderne.
Au chapitre II, «Faire la loi : la supervision du comportement sexuel dans l’Athènes classique», J. Winckler examine les opérations à travers lesquelles la communauté articule, contrôle et gère les comportements déviants dans l’Athènes classique via des pratiques de contrôle de soi et de l’autre, puisque la mise en accusation permet de surveiller et punir ses adversaires politiques. On opposera la bonne virilité de l’hoplite à la mauvaise virilité du kinaidos qui renvoie à un contre-modèle effeminé. Le kinaidos n’est pas un homosexuel mais celui qui transgresse la définition dominante de la masculinité. Au citoyen grec s’oppose le prostitué qui est un débauché sexuel, place le sexe dans le registre de la transaction financière et se fait passif lors de la pénétration. Plus qu’une conduite, il s’agit d’une virtualité tapie en tout homme qu’il convient d’étouffer en lui opposant la figure de l’hoplite viril. On se rapproche en fait de la morale sociale romaine, où l'acte sexuel est avant tout acte de fierté, d'expression conquérante et de force, où le passif est justement méprisé.


En somme, l'homosexualité grecque fut un phénomène à la fois psychologique et sociologique; pour autant qu'elle fut un comportement individuel, elle doit être expliquée psychologiquement, en tant qu'activité culturellement encouragée, de manière sociologique. Des explications multiples et également complètes sont courantes dans le monde scientifique. Comme on peut le voir, en Grèce comme dans les mondes romain et celtique, l'homosexualité n'a jamais été un comportement sexuel unique, homogène et revendicatif; toujours lié autant au sacré qu'à la vie quotidienne, elle consistait souvent en rites d'initiation, rivalités guerrières, affirmations viriles et symboliques évolutives. Il est absolument impossible de la rattacher à l'homosexualité de notre époque, qui connait la distorsion propre à tous les domaines des moeurs occidentales, celle de l'imposition agressive, de la visibilité décomplexée, celle de la psychorigidité des comportements qui se figent en des attitudes et postures terriblement consensuelles. Cette homosexualité s'est toujours vue couplée avec une structure sociétale et un désir évidemment fortement hétérosexuel, et c'est ainsi que tant la Gaule que Rome ou encore la Grèce étaient des patries populeuses durant toute l'Antiquité.

Orage.

5 commentaires:

  1. Votre site semble intéressant, mais il est illisible : les caractères blancs sur fond noir me donnent des hallucinations.

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  2. Voilà qui est arrangé. Il s'agissait des premiers réglages, même si j'hésite encore au vu de la pauvreté des thèmes proposés.

    Merci du feedback.

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  3. Article intéressant et documenté.

    J'ignorais le bon mot de Foucault au sujet de Paul Veyne, Foucault qui appuya la candidature au Collège de France du si précieux Pierre Hadot pour aborder la question de la philosophie antique.

    Comme dans votre exposé, en ce qui me concerne, je n'attache pas beaucoup d'importance au baratin de la secte freudienne sur la question antique, comme sur le reste.

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  4. Quand on commence à parler de Foucault, on ne s'arrête plus en effet. Il y a énormément à dire, autant pour son soutien à Pierre Hadot que pour le pavé iconoclaste qu'il a jeté dans la mare de l'historiographie au bon moment, par exemple.

    Il est vrai que nous n'avons pas fini de ressentir les contre-secousses de la réplique sismico-religieuse (ou peu s'en faut) provoquée par Freud...

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  5. Merci j'ai appris des choses
    car souvent on lis ou entends
    que des clichés là dessus.

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